Musique et Langue

Rédigé par Chiara Baietta et Benjamin Frerot 


« C’est la deuxième rencontre, chacun va présenter le texte qu’il a trouvé ou écrit, le lire une fois dans la langue voulue puis une seconde fois traduit en français. Si seule Amaia se lance dans une interprétation chantée en basque, les autres lectures résonnent néanmoins comme de multiples musiques en différentes langues. La notion de « musique » s’ouvre alors davantage dans cette enquête. Si avant elle était déjà étendue à toutes pratiques instrumentales mais aussi orales, la dimension orale était limitée à l’entonnement d’un chant. Mais au final la simple lecture d’un souvenir personnel mis sur papier en polonais n’est-elle pas de la musique ? L’interprétation d’un texte en français décrivant les bruits que font les ustensiles dans la cuisine ne s’apparente-t-elle pas un chant ? En écoutant les diverses lectures, l’envie nous vient de creuser cet aspect. J’ai l’impression pendant deux heures d’assister à un véritable concert des langues : une recette de flan de coco expliquée en créole, des blagues racontées en espagnol, quelques proverbes malgaches entrecroisés dans la recette de sambos, l’évocation de souvenirs dans une cuisine polonaise, la complainte d’une servante dans un conte basque, la défense des femmes à travers une chanson kabyle et enfin plusieurs textes en français proposés à la traduction par Patrice... »

 

Extrait du carnet de terrain de Benjamin

Bibliothèque Georges Perec, 20/10/2017


Ce rapprochement entre musique et langues n’est pas seulement le fruit d’une intuition : ces deux pratiques partagent la même essence. La colonne vertébrale de la musique est le rythme donné par la relation entre son et silence. C’est la liaison entre les sons, entre notes et passages musicaux qui permettent de distinguer la musique des autres sons et de la considérer comme ensemble cohérent.

Les mots d’une langue peuvent être comparées aux notes musicales, elles sont la matière qui permet de composer un discours, mais, pour pouvoir les considérer en tant qu’ensemble, il faut arriver comprendre leur sens et les liens qui sont établis entre eux.

Toutefois le noyau d’une pratique linguistique n’est pas seulement le sens, il existe aussi d’autre types de liens qui s’instaurent entre ses différentes parties d’un discours. Le rythme, scandé par l’alternance entre voyelles et consonnes est l’un d’entre eux. Même lors qu’on ne comprend pas les mots, on peut percevoir ce rythme, qui est unique pour chaque langue. L’expérience du « Café des Langues », pour nous, peut être appréhendée comme une véritable expérience musicale : en nous trouvant démunis des compétences linguistiques nécessaires pour comprendre les textes partagés, nous nous sommes laissés envelopper par les rythmes polonais, arabes, espagnols, basques, kabyles…

Le rythme, les sonorités des mots sont des aspects fondamentaux en linguistique ou en littérature, mais peu abordés en anthropologie. La question du son ne peut pas être complétement comprise sans évoquer la place du sensible dans les relations humaines. La musique, les langues, la sonorité de mots familiers ou inconnus peuvent susciter des réactions chez les individus en fonction de leurs expériences et attachements. Les paroles d’une chanson, le son d’une langue, la mélodie d’un chant populaire ont le pouvoir de faire sentir une personne chez elle ou au contraire de la mettre mal à l’aise, ils peuvent susciter un sens d’appartenance à un groupe ou une critique de la société.

Les sons et les rythmes sont importants, mais ils ne peuvent pas être considérés sans le message que ces pratiques orales veulent transmettre. Les ateliers du Café des Langues, en effet, n’étaient pas seulement une pratique esthétique, mais grâce aux traductions, ils étaient aussi et surtout des moments de partage et de rencontre.